L’invisible pilier du cinéma : réflexions sur le rôle du premier assistant réalisateur
- Mehdi Salmi

- 1 févr. 2021
- 3 min de lecture
Quand on regarde un film, on admire souvent le réalisateur, les acteurs, la photographie, voire la musique. Rarement pense-t-on à la personne qui, dans l’ombre, maintient la production debout, anticipe les crises avant qu’elles n’arrivent, transforme le chaos en ordre : le premier assistant réalisateur (1er AD).

J’ai occupé ce poste pendant plus de douze ans, et je peux vous le dire : c’est à la fois le pilier central d’un film et l’un des rôles les moins reconnus de l’industrie.
Ce que fait réellement le 1er AD
Le premier assistant réalisateur est le moteur qui fait avancer une production. Ses responsabilités principales sont :
• Planification : transformer un scénario en un plan réaliste, en équilibrant temps, lieux et ressources.
• Coordination : assurer la liaison entre tous les départements — caméra, lumière, plateau, acteurs, costumes — pour que chacun travaille dans la même direction.
• Résolution de problèmes : anticiper les difficultés avant qu’elles ne bloquent le tournage.
• Exécution : veiller à ce que la vision du réalisateur puisse réellement se concrétiser dans le temps imparti.
En résumé, un bon 1er AD permet au réalisateur de se concentrer sur la créativité, tout en gérant silencieusement tout ce qui pourrait faire ou défaire la production.
La réalité au Maroc
Malheureusement, au Maroc, ce rôle est souvent mal compris ou sous-estimé. Sur de nombreuses productions, le premier assistant réalisateur est recruté à la dernière minute, une fois que la plupart des décisions sont déjà prises. Les conséquences sont lourdes :
• Peu de temps pour la préparation, ce qui fait que les problèmes apparaissent pendant le tournage plutôt qu’avant.
• Des scènes parfois filmées alors que le lieu suivant n’est même pas confirmé.
• Du matériel, des décors ou des autorisations parfois manquants ou retardés.
Et pourtant, quand quelque chose tourne mal — ce qui est presque inévitable dans ces conditions —, la responsabilité retombe presque toujours sur le 1er AD.
J’ai été sur des plateaux où, en plein tournage, personne ne savait où aurait lieu la scène suivante. Tout devait être résolu en temps réel, sous pression, sans marge de manœuvre. Le poste devient alors moins une question de planification qu’une lutte constante contre les incendies.
Le contraste international
À l’étranger, un 1er AD est souvent impliqué dès les premières étapes d’un projet, parfois même lors du développement du scénario. Il est un partenaire de confiance en préproduction, participant à l’élaboration du planning, du plan de tournage et de la faisabilité générale du projet. Cette implication précoce :
• Réduit le stress pendant le tournage.
• Rend toute la production plus efficace.
• Permet que les décisions créatives soient mises en œuvre de manière réaliste.
Quand le premier assistant est considéré comme un simple pense-bête, comme c’est trop souvent le cas au Maroc, ce n’est pas seulement injuste : c’est contre-productif. La production en pâtit, l’équipe en souffre, et le film lui-même est mis en danger.
Pourquoi c’est important
Le premier assistant réalisateur est invisible par essence : un bon 1er AD rend possible le travail de tous les autres, sans chercher la reconnaissance. Mais l’invisibilité ne doit pas signifier sous-estimation. Un 1er AD compétent :
• Économise du temps et des ressources.
• Protège la vision du réalisateur.
• Réduit le stress de toute l’équipe.
Comprendre et respecter ce rôle est essentiel si un film veut réussir — non seulement sur le plan technique, mais aussi créatif.
Une réflexion personnelle
Après plus d’une décennie à ce poste, j’ai constaté l’impact qu’un premier assistant réalisateur peut avoir sur un film. J’ai aussi connu la frustration de devoir gérer des crises qui auraient pu être évitées avec une bonne préparation. Pourtant, malgré la pression et le manque de reconnaissance, il y a quelque chose de profondément gratifiant à transformer le chaos en ordre, à voir un projet avancer sans accrocs, et à savoir que votre travail — bien qu’invisible — était le pilier du film.
Le cinéma est un travail d’équipe, et chaque film réussi doit autant au 1er AD qu’au réalisateur. Peut-être qu’un jour, au Maroc et ailleurs, cette réalité sera reconnue plus ouvertement. En attendant, ce rôle reste exigeant, vital et sous-estimé — une force silencieuse qui rend possible l’impossible.
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