Éducation au Maroc : la boîte de Pandore !
- Mehdi Salmi

- 13 oct.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 18 oct.
Je ne suis pas politologue.
Je n’en ai ni les compétences ni la prétention.

Je suis simplement un citoyen et artiste marocain, impliqué, concerné, et profondément affecté par ce qui se passe dans mon pays depuis plusieurs semaines.
Et parce que je crois que l’artiste a un rôle à jouer dans la société, que sa parole n’est pas une posture mais une responsabilité, j’écris ces lignes non pas pour juger, mais pour comprendre. Car je crois que l’art, la pensée et la parole sont aussi des formes d’engagement.
Ce qui suit est une humble réflexion — personnelle et sincère — à partir du discours de Sa Majesté le Roi Mohammed VI lors de l’ouverture de la 11ᵉ session du Parlement, le 10 octobre 2025.
Un discours, d’une clarté remarquable qui, n’avait rien d’énigmatique ni de purement protocolaire et qui, à mon sens, mérite d’être lu avec l’attention qu’il exige, loin des émotions de l’actualité immédiate.
Un discours d’alerte et d’espérance
Ce discours n’était pas un rituel politique, mais un signal fort.
Sa Majesté y a rappelé avec fermeté que les priorités du Maroc doivent désormais être la justice sociale, la dignité citoyenne et la cohésion nationale. Mais au-delà des mots, j’y ai vu un message plus profond : un rappel à la responsabilité collective. Car, quand un peuple réclame une Constitution fondée sur la démocratie, comme en 2011, il doit aussi accepter ce que cette démocratie implique : la responsabilité de ses choix.
Les gouvernements ne tombent pas du ciel, ni des mains du Souverain — ils émanent du vote du peuple. Et quand le résultat ne plaît plus, il faut apprendre à regarder en soi avant de désigner un coupable.
Ce n’est qu’en assumant nos choix collectifs que nous pourrons commencer à transformer ce qui nous dépasse : notre rapport à la citoyenneté, à la responsabilité, et à l’éducation — car c’est bien là, à mon sens, que tout commence. Le Maroc ne pourra pas avancer sans justice sociale réelle, ni sans un sursaut de responsabilité collective.
Ce qui m’a frappé, c’est la clarté du message. Il n’y avait pas de formule creuse ni de métaphores floues — seulement un appel à revenir à l’essentiel : Le développement du pays ne peut pas reposer sur des slogans, ni sur la complaisance. Il exige des réformes concrètes, des institutions fortes, et un engagement collectif. Autrement dit, le Maroc de demain dépend de la qualité de ses citoyens.
Mais au-delà du fond, il y a le ton.
Ce ton ferme et calme à la fois, presque pédagogique, qui invite non pas à la réaction mais à l’introspection. Un appel, en somme, à cesser de chercher des coupables et à comprendre que la nation et son avenir se construisent ensemble — pouvoir et peuple confondus — dans la clarté des responsabilités et la constance des actes.
Et si ce discours m’a particulièrement marqué, c’est parce qu’il résonne avec un malaise plus profond, que nous portons tous sans vraiment le nommer : celui d’une fracture éducative qui nourrit toutes les autres. Car derrière chaque injustice, chaque inégalité, chaque désespoir social, il y a, presque toujours, un échec d’éducation.
C’est ce lien-là que je veux interroger.
Non pas comme un constat d’impuissance, mais comme un point de départ :
Comment espérer un Maroc équitable, moderne et cohérent, si l’école elle-même reproduit les inégalités qu’elle est censée combattre ?
L’école marocaine : entre réformes et désillusions
Depuis les années 80, l’éducation au Maroc est un éternel sujet de promesses et de déceptions. Chaque décennie a vu défiler son lot de plans, de stratégies et de réformes : la Charte nationale d’éducation et de formation (1999), la Vision stratégique 2015-2030, la loi-cadre 51.17, ou plus récemment la mise en œuvre du Programme d’urgence 2022-2026.
Sur le papier, le Maroc n’a jamais manqué d’idées.
Les budgets ont augmenté, les infrastructures se sont améliorées, les taux de scolarisation aussi. Les manuels ont été révisés, les formations modernisées, et les écoles numériques expérimentées.
Et pourtant, le problème demeure et l’impression de stagnation persiste.
Comme si quelque chose, au cœur même du système, résistait à tout changement.
Parce qu’au-delà des réformes, il y a les réalités humaines.
Une école n’est pas qu’un bâtiment ni un programme — c’est un écosystème de valeurs.
Et tant que cet écosystème sera perverti par l’indifférence, l’opportunisme et le manque de vocation, aucune réforme, aussi ambitieuse soit-elle, ne pourra produire ses fruits.
Le véritable point de rupture : l’enseignant
Le cœur du problème, selon moi, se joue dans la salle de classe, dans la relation entre l’élève et celui qui est censé lui ouvrir le monde : l’enseignant.
Le métier, autrefois porteur d’un idéal, a perdu de sa vocation.
Aujourd’hui, une majorité préoccupante — pas tous, hélas — ne choisissent plus d’enseigner par passion et conviction mais par sécurité.
Un emploi stable, trois mois de vacances, un salaire assuré — et souvent, la possibilité d’enseigner en parallèle dans le privé ou de donner des cours particuliers et tout cela avec la complicité des gouvernants, de la société et plus directement, des parents .
Le confort, plus que la mission.
Résultat : le feu sacré de la transmission s’éteint lentement.
Cette situation crée une forme d’hypocrisie silencieuse :
On réclame une éducation de qualité, mais on tolère que ceux qui la dispensent la voient comme un gagne-pain, non comme une mission.
L’enseignant d’aujourd’hui, pour une grande part, ne veut plus “former une génération”, il veut gagner sa vie — et qui pourrait le blâmer, quand le système lui-même ne le valorise plus ?
Mais c’est précisément là que se joue la fracture : l’éducation, ce n’est pas un métier comme un autre. C’est une responsabilité morale, un engagement envers le futur.
Et si cet engagement s’érode, tout le reste s’effondre.
L’école privée : symptôme d’une fracture
Pendant ce temps, le privé prospère, creusant progressivement un fossé social abyssal.
Ce qui était autrefois un choix minoritaire est devenu la norme pour les familles de la classe moyenne. Fuir le public est devenu un réflexe de survie éducative.
Cette privatisation rampante n’est pas anodine : elle traduit une perte totale de confiance dans l’école publique, créant ainsi une société à deux vitesses :
D’un côté, les enfants du privé, préparés pour la compétition mondiale ; de l’autre, ceux du public, abandonnés dans un système en panne. Et pendant ce temps, l’État, au lieu de redresser la qualité du public, semble parfois se satisfaire du transfert de la charge éducative au privé. L’éducation, censée être un espace d’égalité, devient un marqueur d’injustice sociale.
Le citoyen, grand absent de la réforme
Pourtant, tout ne repose pas sur l’État.
Il y a une part du problème que nous portons, chacun, en nous.
Nous avons cessé de croire à la valeur du savoir.
Nous avons transformé l’école en simple service public, un droit que l’on consomme plutôt qu’un engagement que l’on honore.
Les parents se déchargent, les enseignants se désengagent, les élèves se démotivent — et tout le monde accuse « le système ».
Mais le système, c’est nous.
C’est notre rapport collectif au savoir, à la culture, à la responsabilité.
Un pays qui valorise davantage le paraître que la pensée ne peut pas produire une école vivante.
Les vraies priorités pour la décennie à venir
Si le Maroc veut rompre avec ce cycle, il faut à mon sens, replacer le sens, la justice et la vocation au centre du projet éducatif. Voici, selon moi, les urgences absolues :
Revaloriser la mission de l’enseignant. Non pas seulement par le salaire, mais par la dignité, la formation continue et la reconnaissance sociale.
Restaurer la confiance dans le public. L’école publique doit redevenir un lieu d’excellence, pas une punition pour les plus pauvres.
Encadrer la marchandisation du savoir. Le privé ne doit pas devenir un refuge pour les privilégiés, mais un complément régulé au service du pays.
Former des citoyens avant des diplômés. L’éducation doit réapprendre à éduquer — au sens civique, culturel et moral du terme.
Remettre la culture, les arts et la pensée critique au cœur des programmes. On n’apprend pas à vivre en répétant des leçons, mais en apprenant à penser.
Décentraliser et humaniser la gouvernance éducative. Le Maroc est multiple, son école doit l’être aussi.
Réconcilier l’école avec la société. Il faut que les parents, les enseignants, les institutions et les citoyens retrouvent un langage commun autour de la jeunesse.
Conclusion : Réapprendre à croire, à voir, à sentir, à espérer
Au fond, tout ça — les réformes, les plans, les discours —resteront lettre morte si nous persistons à nous attaquer à la façade et non aux fondations. L’école Marocaine n’a pas besoin d’un miracle numérique ni d’un énième plan quinquennal. Elle a besoin d’un réveil moral.
Mais pas seulement cela. Il faut se rappeler ce qui fait de nous des êtres humains : notre capacité de sentir, de rêver, de créer et de communiquer ensemble. Il faut réinterpréter l’éducation par le prisme de l’art. Car, l’école, sans l’art, devient une machine à fabriquer des exécutants. Et l’art, sans l’école, tourne à vide.
Je crois profondément que l’art est une forme d’éducation, peut-être même la plus vraie.
Parce qu’il apprend à regarder autrement.
À douter.
À imaginer.
À aimer.
Et ça, aucune réforme, aucun manuel, aucun ministre ne peut le décréter.
Si on veut que ce pays avance, il faut que les artistes sortent de leurs bulles, et que les profs sortent de leur confort.
Que les uns inspirent, que les autres transmettent.
Que l’école redevienne un lieu de vie, pas une salle d’attente.
Que la culture ne soit plus perçue comme un luxe, mais comme le moteur invisible d’une société vivante.
Moi, je n’ai pas de solution miracle.
Je ne parle pas en expert, je parle en citoyen, en artiste, en type qui aime son pays et qui a mal de le voir tourner en rond.
Mais je sais une chose : tant qu’on ne réapprendra pas à nourrir l’esprit et l’âme en même temps, rien ne changera.
Et peut-être que tout commence là — dans une salle de classe, dans un atelier, sur une scène, dans le regard d’un enfant qui, pour la première fois, comprend qu’il a le droit de rêver.
Tant que cette foi ne renaîtra pas, aucune réforme, aucune feuille de route, aucun budget ne suffira. Parce que le problème de l’éducation au Maroc ne se trouve pas dans les murs — il se trouve dans les cœurs.
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